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Miracle of Love Introduction, Français

Maharajji, Dada, and Ram Dass“ Quand la fleur éclôt... ”

En 1967, je fis la connaissance de mon gourou. Cette rencontre changea le cours de mon existence car il me permit d’appréhender ma vie en termes spirituels. Je découvris chez lui de nouvelles perspectives de compassion, d’amour, de sagesse, d’humour et de puissance, et ses actes élargirent ma compréhension des possibilités de l’homme. Je reconnus en lui une alliance de l’humain et du divin.

Après notre première rencontre, je demeurai en Inde aussi près de lui qu’il me fut permis. Je passai ainsi cinq mois avant de revenir en Amérique avec son ashirbad pour écrire un livre que, jusqu’avant mon départ, je n’avais jamais envisagé de faire. De retour en Occident, je rencontrai de nombreuses âmes sœurs ouvertes et prêtes à partager ce que j’avais reçu ; et sa bénédiction ainsi que leur soif donnèrent naissance à Soyez ici maintenant.

En 1970, je revins en Inde et restai auprès de lui par intermittence de février 1971 à mars 1972, date à laquelle mon visa expira et où je fus expulsé du pays. Quoi qu’il en soit, que je me trouve à ses côtés ou séparé de lui, il demeura la source et l’âme de mon éveil spirituel.

Dès le début j’avais voulu le partager avec d’autres, mais il commença par m’interdire de lui amener directement des gens. Néanmoins un nombre relativement restreint d’Occidentaux (plusieurs centaines) parvinrent à le rencontrer et furent touchés aussi profondément que je l’avais été. Il mourut le 11 septembre 1973 : comme disent les Indiens, il quitta son corps.

Les années qui suivirent, je fus à même de constater que l’absence de son corps ne diminuait en rien son influence sur ma vie. Bien au contraire, je sentais sans cesse davantage sa présence, son soutien et son aide, son amour et, à chaque fois que je me prenais trop au sérieux, son rire cosmique. Ceci me donna à penser que d’autres qui ne l’avaient jamais “rencontré ” dans son corps pouvaient semblablement être touchés. Cette impression a été confirmée par un nombre étonnamment important de gens qui, par l’intermédiaire de livres, de conférences, d’enregistrements et de contacts personnels avec certains de ses disciples, ont affirmé avoir ressenti sa présence d’une manière qui a embelli leur vie.

Je parle de lui comme de mon “ gourou ” mais, en fait, je ne pense jamais à lui ni à notre relation avec autant d’emphase. Pour moi il est tout simplement Maharajji, un surnom si courant en Inde qu’on entend souvent les gens appeler ainsi les marchands qui, dans la rue, proposent du thé aux passants.

Ceux d’entre nous qui ont connu Maharajji se retrouvent fréquemment en Inde ou en Occident. La conversation tourne invariablement au rappel des souvenirs. Ceux-ci ne manquent pas d’affluer et chaque histoire est ponctuée de silence, de rires ou de remontrances tandis que nous savourons sa profondeur et son élégance. L’espace s’enrichit alors de l’esprit vivant et nous savons qu’il est parmi nous.

Mes voyages m’ont fait rencontrer des milliers d’êtres qui s’éveillent et dont l’ouverture de cœur et d’esprit me donne envie de leur rendre Maharajji plus proche par l’intimité de témoignages directs. Et pourtant n’ont paru pour l’heure que quelques anecdotes, la plupart en rapport avec mon expérience personnelle. Le présent ouvrage a été entrepris afin de mettre un terme à cette pénurie et de combler un vide.

Immédiatement après sa mort je confortai plusieurs Occidentaux dans leur intention de parcourir l’Inde à la recherche de témoignages. Ils parvinrent à rassembler quelque quatre cents anecdotes mais constatèrent, chez les dévots indiens, une grande réticence à évoquer leur maître. Celui-ci avait toujours désapprouvé qu’on parle beaucoup de lui et ils respectaient cette volonté de discrétion. En 1976, deux d’entre nous retournèrent en Inde. Nous fûmes ravis de constater qu’un grand nombre de disciples indiens – qui, au fil des ans, l’avaient forcément bien mieux connu que nous – étaient maintenant prêts à partager librement leurs trésors. Nous enregistrâmes alors mille deux cents récits. Depuis, avec l’aide d’un autre Occidental, nous avons recueilli quatre cents nouveaux témoignages en Orient et en Occident, ce qui a amené à plus de deux mille le nombre total d’histoires, anecdotes et extraits d’entretiens menés auprès de plus de cent disciples.

Bien sûr, une centaine de dévots ne représente qu’une infime fraction des milliers de gens qui ont été touchés par Maharajji et en gardent chacun de merveilleux souvenirs, comme une pièce du puzzle. Mais, par crainte de sombrer dans un tel océan de souvenirs, je décidai arbitrairement à un certain moment de mettre un terme à la recherche et de commencer à organiser ce que nous possédions déjà.

Les disciples dont les histoires figurent dans ce volume appartiennent à toutes les catégories socio-culturelles. Les récits d’importants fonctionnaires interviewés dans leurs bureaux voisinent avec les témoignages de balayeurs rencontrés dans la rue. Dans des villages des contreforts de l’Himalaya, nous avons enregistré des conversations de femmes accroupies autour d’un brasero de charbon pour se réchauffer les mains en fin d’après-midi. Nous avons écouté des réminiscences dans toutes sortes de cadres : salons, voie publique, enceintes de temples, ou même autour d’un feu à la belle étoile, à côté d’une baignoire remplie d’eau chaude, dans des voitures ou des avions, et à l’occasion de longues promenades. Ces histoires nous ont été confiées par des prêtres hindous tirant des bouffées de leurs chillums, par des professeurs d’université, des fonctionnaires de police, des paysans, des industriels, par des enfants ainsi que par leurs mères occupées à remuer le contenu bouillonnant de leurs marmites posées au-dessus de feu de bois et de charbon. Le partage de souvenirs aussi précieux qu’intimes s’accompagnait toujours d’un sentiment de joie mêlée de timidité. Ces réunions où l’on se retrouvait pour parler de lui étaient empreintes d’une grâce ineffable.

Une fois ces témoignages rassemblés, la question fut de savoir comment présenter un ensemble aussi considérable. J’ai passé trois ans à considérer le problème, à écrire et à rédiger de nouveau. Ma première tentative ressemblait davantage à une chronologie personnelle, mais je me rendis compte qu’une telle structure aurait du mal à intégrer tout le matériau dont je disposais, sans compter qu’il aurait fallu y loger une quantité d’éléments qui n’avaient rien à voir avec mon existence. Je repartis donc de zéro en me contentant, cette fois, d’ajouter mes propres expériences à la masse des récits et de regrouper les histoires retenues sous différentes rubriques, ce qui aboutit à la présente compilation.

Ces histoires, anecdotes et extraits d’entretiens constituent une mosaïque qui permet de retrouver Maharajji. Pour retenir ces pièces rapportées, j’ai utilisé le minimum absolu de ciment conjonctif et préféré presque toujours omettre mon optique et mes interprétations personnelles.

Mais ce choix de partager avec vous le matériau dans sa forme la plus pure mettra votre motivation à l’épreuve, car j’ai retiré à dessein les commentaires aguicheurs habituels destinés à inciter le lecteur à aller de l’avant. Je n’ai pas voulu manipuler votre désir de découvrir des choses sur Maharajji ; en fait, j’ai simplement souhaité vous fournir tout ce dont je disposais. Comme vous le constaterez, Maharajji exigeait que nous fassions tous un effort considérable pour profiter de son darshan, de l’expérience de sa présence. J’estime qu’il est dans l’esprit de son enseignement d’exiger que les lecteurs fassent un effort semblable, un “bon” effort ou effort “réel” (au sens ou l’entendaient Bouddha dans l’octuple sentier ainsi que Georges Gurdjieff).

Donc, si vous approchez cet ouvrage avec le désir de le rencontrer et de recevoir son darshan d’une façon qui pourrait aussi considérablement modifier votre vie que la nôtre, alors vous éprouverez le besoin de travailler lentement avec ce livre et en profondeur. Je puis seulement vous assurer qu’à mon avis chaque histoire est porteuse d’enseignement et mérite réflexion. Vous ne voudrez pas non plus – d’ailleurs vous ne le pourrez pas – lire ce livre d’une seule traite ou même en deux ou trois fois. Plutôt, tels une eau-de-vie de qualité, ces souvenirs doivent se déguster à petites gorgées afin que tout leur goût et leur arôme pénètrent au plus profond votre esprit et votre cœur. Et n’oubliez pas d’écouter le silence qui nimbe ces histoires, car la véritable rencontre avec Maharajji se situe entre les lignes et derrière les mots. Vous serez amplement récompensés de vos efforts car il vous sera alors donné d’approcher un être d’une stature spirituelle rarement rencontrée sur cette terre.

Il est difficile de séparer Maharajji et son enseignement du milieu naturel dans lequel je l’ai connu. Dans sa plus vaste dimension, Maharajji englobe pour moi l’Inde et les magnifiques montagnes du Kumaon ainsi que le Gange, l’ensemble de ses disciples avec toute leur tendresse et leurs chamailleries, mais aussi ses temples et ses portraits photographiques. Son enseignement comprend l’amour de la Terre-Mère que j’ai goûté pour la première fois dans les village indiens et, tout autant, ma dysenterie et les bagarres pour les visas, les vaches sacrées et les courses en pousse-pousse, les marchés grouillant de monde et les promenades voilées de brume en pleine jungle. Et pourtant, si la pièce qui consistait à être auprès de lui se jouait sur la riche scène de l’Inde, le décor fourni n’était jamais qu’un réservoir d’accessoires et d’expériences nécessaires à la manifestation de l’enseignement. lui-même n’avait pas l’air particulièrement indien, pas plus oriental qu’occidental. Même si nous le rencontrions dans des temples hindous, il ne donnait pas l’impression d’être plus hindou que bouddhiste ou chrétien.

Il se servait des moindres éléments de nos vies – vêtements, nourriture, sommeil ; peurs, doutes, aspirations ; familles, mariages ; maladies, naissances et morts – pour nous apprendre à vivre dans l’esprit. Il déclenchait ainsi un processus qui allait continuer à nous faire travailler à partir des données de l’existence même quand nous n’étions plus avec lui. Cela explique au moins en partie la permanence de son enseignement dont nous avons tous été témoins depuis sa mort.

J’espère que l’approfondissement de ces témoignages va vous permettre d’harmoniser vos perceptions, de vous accorder avec Maharajji et d’entamer avec lui un dialogue au moyen des événements de votre propre quotidien. Un tel dialogue mené au jour le jour au plus profond du cœur constitue une remarquable forme d’alchimie susceptible, grâce à l’amour, de changer la matière en esprit.

C’est ainsi que j’ai gardé le contact avec Maharajji et il me tarde de vous raconter...

Ram Dass

Soquel, Californie

Mars 1979